ART et FINANCE au XVIème siècle
Janvier 2010
Rubens bien sûr
Bonjour,
Comment vous souhaiter une bonne année ? C’est dans cet état d’esprit que j’ai pensé à vous en déambulant cet été au musée des beaux arts de Bruxelles. Une exposition donnait de nombreuses explications sur les tableaux de maîtres. Le 16ème siècle est celui de l’essor du capitalisme international. De grandes familles dominent les chefs d’Etats qu’elles financent. La famille Fugger d’Augsbourg exploite le cuivre depuis l’Afrique et rétribue un réseau d’informateurs qui lui donne les tendances des cours de la matière première. La famille La Tour et Taxis développe un service postal international qui lui permet d’anticiper la conjoncture économique. Avec le développement de l’imprimerie les techniques financières se développent : double comptabilité, bilans avec actif et passif, lettres de change et endossements se multiplient. Les transactions financières reposent de plus en plus sur le papier. Anvers devient le centre de la bourse. Les banquiers et agents de change, les usuriers et collecteurs d’impôts, les spéculateurs immobiliers, les investisseurs protègent les artistes. Car ces artistes renforcent le pouvoir économique dans une exploitation de la morale destinée au bon peuple. Pendant cette période, il est inutile de dire que la croissance exponentielle du commerce et de la finance, s’accompagne d’excès spéculatifs et d’énormes scandales financiers.
De ce point de vue notre époque n’affiche rien de bien neuf dans cet univers. Aussi l’intérêt de l’exposition est de montrer les puissants du jour dans leur cadre de vie.
Dans le portait de famille de Maerten de Vos qui expose deux parents et deux enfants d’Antonius Anselmus, les vertus morales sont parfaitement décrites. La famille est source de vertu, de prospérité et de bonheur. Les vêtements portés, la bonne tenue des parents, indiquent une forte position sociale. Le père est échevin et les signes de l’aisance acquise sont nombreux : dentelles des habits, bijoux, la verrerie fine, les bagues de la femme. La richesse du mobilier qui était transmis par héritage termine la description d’une famille aisée. Il ne manque même pas l’allégorie de la sauterelle sur un tablier. Il faut se défier de cet insecte vorace, l’une des plaies d’Egypte, qui ruine les familles !
Le détail qui tue : la sauterelle menace de tout dévorer : vertu et fortune !
Jean Cornelisz Vermeyen peint dans un triptyque la famille Micault. Micault était un grand argentier de la cour de Bruxelles. Son père était receveur général de Charles Quint et travaillait en tant que fermier. C’est dire qu’en échange d’un engagement de recouvrement d’une somme fixée à l’avance, tout ce qui pouvait être encaissé en excédent revenait personnellement au fermier. On imagine la rapacité des représentants de la ferme à l’égard d’une population rurale pour obtenir le meilleur résultat. Car eux aussi encaissaient quelques bribes d’une surexploitation fiscale.
Pieter Bruegel l’Ancien peint dans le dénombrement de Béthléem une opération de recensement. Ce recensement avait été ordonné par l’empereur Auguste. Chaque citoyen romain devait donc être recensé. Joseph et Marie se sont rendu à dos d’âne à l’auberge du recensement. Des pièces de monnaie sont tendues au guichet où un livre enregistre les versements. En associant une opération de recensement au prélèvement d’un impôt c’est le début des temps modernes. Le simple fait de vivre impose un paiement dont même la mort ne délivre pas complètement les héritiers. La blancheur de la neige, le givre qui descend de l’auberge, les oiseaux affamés qui survolent le paysage complètent une caricature sociale immémoriale.
Naar Quiten Massys peint le banquier et sa femme. Le Lévitique déclare « vous ne commettrez pas de fraude sur les mesures, les poids et les contenances ». Un tel avertissement s’adresse bien sûr au changeur qui pèse les pièces provenant de toute l’Europe, afin d’en déterminer la valeur. Le monde de l’argent est placé à gauche « a sinistra » et contrebalancé par la partie droite où un livre de prière avec Madonne est posé. La femme du banquier qui est censée lire le saint livre regarde vers la gauche. Elle feuillette très négligemment le livre et met de la lumière et de la couleur dans le tableau. Le banquier lui est peint en sombre avec les apparences du personnage sérieux. Hélas, Hélas, sa femme regarde l’argent et l’or qui sont manipulés à gauche. Elle a même l'air de penser rêveusement au bon usage qu'elle pourrait faire de cet argent. Le miroir qui est une ouverture sur le monde lui inspire sans doute l'idée d'un prochain voyage à Bruges ou à Venise ! Ce tableau dont un exemplaire est détenu par le Louvre se veut être une caricature. Les traders et les Madoff commencent à poindre dans la société, dès 1514, date du tableau.
Guy Muller